Extrait du chapitre 3

Débauche crapuleuse

 

   Monseigneur Duparc parcourt-il en cachette les journaux qu’il condamne et qu’il interdit à ses ouailles ? Si des titres comme ʺLe Citoyen, ʺLa Dépêche de Brest ou ʺLe Cri du peuple sont à rejeter,carsectaires, corrupteurs et anticléricaux, il tolère certains articles du ʺFinistère. Il peut y lire les dommages causés par la crise économique venue des États-Unis d’Amérique en 1930. À Paris, le pouvoir qui change sans arrêt de têtes a beau prétendre que la France souffre moins que les autres pays, les recteurs et les curés se font l’écho auprès de l’évêque d’une grande misère chez de nombreux paysans. Les produits agricoles se vendent mal, le blé est cédé à des prix dérisoires, et pourtant le pain ne cesse d’augmenter. Face à une vie de plus en plus chère et à des lendemains incertains, les jeunes s’étourdissent dans le plaisir de la danse, et le clergé s’affole. Rares sont les municipalités qui prêtent une oreille bienveillante aux appels angoissés des associations catholiques de chefs de famille. Dans une lettre adressée à sept maires,celle du canton de Plouigneau supplie d’interdire les bals, ou du moins l’entrée des salles de danse aux mineurs non accompagnés de leurs parents. Mais les édiles pensent d’abord à leur réélection et ne veulent pas passer pour des trouble-fête ! Alors, il est préférable d’éviter de parler d’hygiène et de tuberculose, et encore moins d’un nombre élevé, paraît-il, de sourds-muets, de manchots et de nains dans des communes où l’on danse depuis longtemps. Une exception notable cependant chez les conseillers municipaux de Carhaix qui estiment en mai 1930 que les bals sont la source de débauche crapuleuse des mineurs.

   Ce n’est pas l’avis de M. Kerlouégan, maire de Plogastel-Saint-Germain qui, selon un article du ʺCitoyen, se vante d’avoir fait toucher terre aux épaules du curé. Un combat à mains nues s’est-il déroulé sur la place de ce gros bourg ? Que nenni! C’est seulement une décision du bon pasteur qui a mis le feu aux poudres. Le 6 juillet 1930, il refuse de célébrer le pardon de la paroisse, si un bal se déroule ce même dimanche. Qu’ils dansent le lundi à la rigueur, mais pas le jour du Seigneur. Le maire, qui n’a pas froid aux yeux, répond : N’en déplaise à M. le curé, le pardon aura lieu. Et selon ʺLe Citoyen, le succès fut total. À sept heures du soir, tandis qu’une trentaine de couples dansaient une gavotte endiablée sur la place publique, près de trois cents autres menaient dans l’immense salle Le Pape-Quiniou, une sarabande endiablée. Mais que vient faire le diable à deux reprises dans cet article ? Est-ce une provocation de plus de la part des laïcs contre les cléricaux qui voient un démon derrière chaque danseur ? À chacun de se faire une opinion, mais, écrit le journaliste, peut-on accabler le jeune homme qui, après avoir trimé toute la semaine à ramasser des petits pois à sept sous la livre, souhaite conter fleurette à une jeune fille qui a la beauté d’un ange? Faut-il cependant qu’il crie en dansant : Vive la liberté ? C’est exagéré, car le curé, s’il entend faire marcher ses paroissiens à la baguette, ne les a pas encore réduits à l’état d’esclaves! L’outrance est égale des deux côtés, mais comme conclut ʺLe Citoyen : On n’empêchera pas plus la jeunesse de danser, que l’oiseau de voler et de chanter.


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