Prologue

Pardonnez-moi, mon père, parce que j’ai péché. Cela fait bien longtemps que, agenouillé dans un confessionnal, je n’ai pas prononcé ces mots en tremblant. En relisant mon ouvrage, j’éprouve soudain quelque appréhension. Pourquoi me suis-je lancé dans cette étude qui sent le soufre ? Rien ne me prédisposait à écrire sur le sujet : premier prix d’instruction religieuse à l’école Saint-Yves de Quimper, je suis l’un des petits-fils d’Auguste Chuto, ancien petit séminariste ʺplus blanc que blanc‶ qui, toute sa vie, a lutté avec acharnement contre les

″méchants‶ rouges. Ai-je bien agi en m’intéressant à Mgr Duparc, évêque de Quimper et de Léon, qui n’a cessé de condamner les plaisirs qui corrompent le cœur des malheureux mortels ?

À la prochaine visite que je ferai à mes chers parents au cimetière de Saint-Conogan à Quimper, j’espère ne pas voir des fissures sur la dalle de leur tombeau. Si c’était le cas, cela signifierait que mon père, ayant eu vent de mes écrits, aurait eu un sursaut de colère, bousculant ainsi son épouse et sa belle-mère. De son vivant, il m’aurait sûrement déshérité.

Après la parution de Bien aimée Marie-Anne, je pensais ne pas écrire un dixième livre. Il faut savoir s’arrêter à temps, paraît-il ! Mais, au fil des années, au hasard de mes recherches aux archives diocésaines et départementales, j’ai amassé de nombreux documents sur l’Église et la lutte acharnée qu’elle a menée contre les danses. La lecture si savoureuse des journaux de l’époque m’a conforté dans ma mission. Il fallait me remettre au travail et ce n’est sans doute pas mon ange gardien qui m’a mis sur la piste de la multitude d’affaires racontées dans ce livre. J’espère cependant qu’il ne s’agit pas du démon !

Pour ma décharge, je n’ai jamais apprécié la danse et l’ambiance enfumée des boîtes de nuit. Y étant peu à l’aise, je regardais avec un brin de jalousie les acharnés du rock’n’roll. Je ne me suis essayé qu’au slow, le descendant des fameuses danses kof ha kof (ventre à ventre). Ma charmante partenaire ne m’ayant pas tenu grief de lui avoir tant marché sur les pieds, nous nous sommes mariés avec les honneurs dus à de bons chrétiens (10 heures du matin, cloches et tout le reste) et, à l’heure où l’Ankou viendra me chercher, j’aurai droit à un enterrement de 1ère classe. Après un bref passage au purgatoire (nul n’est parfait, n’est-ce pas !), le bon saint Pierre m’accueillera au paradis et, assisté de son secrétaire particulier, Mgr Duparc, il me demandera si mes parents tenaient une salle de danse. J’ai certes un lointain cousin qui fut cabaretier au début du XXe siècle, mais comme il fut maire radical-socialiste à Penhars, je préférerai me taire.

Mgr Duparc, persécuté encore chaque nuit par des visions effroyables de danseurs dans des poses qu’il a désapprouvées sa vie durant, voudra en savoir plus sur ma descendance. Je devrai jurer que mes enfants et petits-enfants ne sont pas musiciens de bal, qu’ils ne conduisent pas d’autocars et qu’ils ne passent pas leurs nuits dans des dancings surpeuplés, au son des airs à la mode tels que Je suis Swing ou Ah ! Le petit vin blanc. Visiblement, Sa Grandeur ne se tient pas au courant de l’actualité musicale. Ensuite, pour me faire une petite place parmi les auteurs plus ou moins célèbres qui coulent des jours heureux au paradis, il me faudra ordonner à mes descendants de brûler place Saint-Corentin les quelques livres sulfureux qui restent en stock.

Imaginez le désarroi du peintre Jean-Marie Misslen quand il apprendra qu’un tel autodafé est exigé en échange de mon repos éternel. Ses magnifiques illustrations seraient ainsi détruites par le feu. Certes, il m’aime bien, mais le sacrifice demandé serait trop important. C’est inimaginable pour cet artiste qui, au travers de ses superbes aquarelles, a su magnifier mon texte.

Je plaiderai sa cause auprès du terrible monseigneur qui n’aurait, semble-t-il, pas beaucoup apprécié certaines représentations irrévérencieuses ou humoristiques faites de lui et de ses recteurs. Et si je n’obtenais pas satisfaction, nous irons tous les deux en enfer, plutôt que de détruire un seul exemplaire du livre. Que ne ferions-nous pas pour le plaisir de nos lecteurs ?


Jean-Marie MISSLEN

 

Artiste-peintre professionnel depuis 1978, membre de la Maison des Artistes de Paris, il a tenu une galerie pendant 40 ans à Quimper.

Les illustrations sont une libre interprétation du texte.

Toute ressemblance avec des personnages ayant vécu du temps de Mgr Adolphe Duparc, d’un passé encore plus lointain ou même de notre siècle, serait purement fortuite et ne relèverait que de la caricature ou d'une pointe d'humour.

Exposition permanente de Jean-Marie Misslen à la galerie ELDER, 12, rue des Boucheries à Quimper. www.galerie-elder.fr

www.facebook.com/jeanmarie.misslen/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Pardonnez-moi, mon père, parce que j’ai péché. Cela fait bien longtemps que, agenouillé dans un confessionnal, je n’ai pas prononcé ces mots en tremblant. En relisant mon ouvrage, j’éprouve soudain quelque appréhension. Pourquoi me suis-je lancé dans cette étude qui sent le soufre ? Rien ne me prédisposait à écrire sur le sujet : premier prix d’instruction religieuse à l’école Saint-Yves de Quimper, je suis l’un des petits-fils d’Auguste Chuto, ancien petit séminariste ʺplus blanc que blanc‶ qui, toute sa vie, a lutté avec acharnement contre les

″méchants‶ rouges. Ai-je bien agi en m’intéressant à Mgr Duparc, évêque de Quimper et de Léon, qui n’a cessé de condamner les plaisirs qui corrompent le cœur des malheureux mortels ?

À la prochaine visite que je ferai à mes chers parents au cimetière de Saint-Conogan à Quimper, j’espère ne pas voir des fissures sur la dalle de leur tombeau. Si c’était le cas, cela signifierait que mon père, ayant eu vent de mes écrits, aurait eu un sursaut de colère, bousculant ainsi son épouse et sa belle-mère. De son vivant, il m’aurait sûrement déshérité.

Après la parution de Bien aimée Marie-Anne, je pensais ne pas écrire un dixième livre. Il faut savoir s’arrêter à temps, paraît-il ! Mais, au fil des années, au hasard de mes recherches aux archives diocésaines et départementales, j’ai amassé de nombreux documents sur l’Église et la lutte acharnée qu’elle a menée contre les danses. La lecture si savoureuse des journaux de l’époque m’a conforté dans ma mission. Il fallait me remettre au travail et ce n’est sans doute pas mon ange gardien qui m’a mis sur la piste de la multitude d’affaires racontées dans ce livre. J’espère cependant qu’il ne s’agit pas du démon !

Pour ma décharge, je n’ai jamais apprécié la danse et l’ambiance enfumée des boîtes de nuit. Y étant peu à l’aise, je regardais avec un brin de jalousie les acharnés du rock’n’roll. Je ne me suis essayé qu’au slow, le descendant des fameuses danses kof ha kof (ventre à ventre). Ma charmante partenaire ne m’ayant pas tenu grief de lui avoir tant marché sur les pieds, nous nous sommes mariés avec les honneurs dus à de bons chrétiens (10 heures du matin, cloches et tout le reste) et, à l’heure où l’Ankou viendra me chercher, j’aurai droit à un enterrement de 1ère classe. Après un bref passage au purgatoire (nul n’est parfait, n’est-ce pas !), le bon saint Pierre m’accueillera au paradis et, assisté de son secrétaire particulier, Mgr Duparc, il me demandera si mes parents tenaient une salle de danse. J’ai certes un lointain cousin qui fut cabaretier au début du XXe siècle, mais comme il fut maire radical-socialiste à Penhars, je préférerai me taire.

Mgr Duparc, persécuté encore chaque nuit par des visions effroyables de danseurs dans des poses qu’il a désapprouvées sa vie durant, voudra en savoir plus sur ma descendance. Je devrai jurer que mes enfants et petits-enfants ne sont pas musiciens de bal, qu’ils ne conduisent pas d’autocars et qu’ils ne passent pas leurs nuits dans des dancings surpeuplés, au son des airs à la mode tels que Je suis Swing ou Ah ! Le petit vin blanc. Visiblement, Sa Grandeur ne se tient pas au courant de l’actualité musicale. Ensuite, pour me faire une petite place parmi les auteurs


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