Quand deux chercheurs travaillent sur la même période historique, sur le même lieu, fouillent les mêmes documents, ils finissent fatalement par se rencontrer. Quand, de plus, le conservateur des archives, serviable, encourage les recherches, voire les suscite en facilitant la consultation, comme le fait Bruno Le Gall à la mairie de Quimper, il ne reste plus à ces chercheurs qu'à s'entraider pour dépouiller, annoter, recueillir, découvrir, s'entrecorriger, et ne pas entreprendre un travail de base déjà effectué. De là naît une fidèle amitié qui permet de reconnaître et d'apprécier les différences de chacun dans sa façon d'aborder le sujet. A chacun son style.

Car Pierrick Chuto a trouvé son style. Il avoue ne pas savoir rédiger des dialogues ni faire parler ses héros, ce qui ressort de la pure création et justifie le terme de "roman" historique, quand tout le reste, faits et contexte, est véritable. Puriste et se tenant aux faits, rien qu'aux faits trouvés dans les documents, il les présente en les enchaînant par d'habiles transitions, sans que ses personnages ne prononcent aucun mot. Ils n'en sont pas moins vivants, comme son "Maître de Guengat", campé solidement au milieu de son terroir et marquant les mémoires. Pierrick Chuto aide juste le lecteur à se représenter les sentiments et humeurs des protagonistes. Voilà sa part d'imagination.

Il a choisi de retracer l'histoire de ses ancêtres, mais garde le recul nécessaire pour ne pas succomber à la tentation de les magnifier. Ils lui servent surtout de prétexte à retracer une tranche de notre passé commun, dans lequel chaque lecteur peut lire l'histoire vraie de son terroir et de ses propres aïeux. C'est pourquoi, dépassant la seule biographie de ses ancêtres, Pierrick fait revivre une époque, des pratiques, des mentalités symptomatiques de la Bretagne d'hier et qui peuvent encore soit se retrouver dans la vie quotidienne, soit expliquer la Bretagne d'aujourd'hui. Il fait donc là oeuvre d'historien.

Parlant d'histoire en Armorique, la légende n'est jamais loin, et il est difficile de démêler les deux. Revenant aux sources documentaires et sans jamais prendre parti, Pierrick aborde, à travers Auguste Chuto son aïeul, les délicats sujets de la religion, de la langue bretonne et de la collusion entre les deux lorsque la politique nationale pousse l'une à défendre l'autre. Donnant des chiffres, des versions opposées de journaux partisans, il laisse le lecteur formuler ses propres remarques et conclusions. Son but n'est pas de distribuer les bons et mauvais points, mais de présenter impartialement les conflits qu'ont vécu nos aïeux, les sujets qu'ils eurent à discuter, les décisions à trancher.

L'histoire officielle est souvent celle des villes. Certes, c'est là que se passaient les grands événements, que se rassemblaient les gens de la campagne, qu'ils venaient aux foires vendre leurs vaches et leurs chevaux, leur beurre et leurs oeufs, mais c'est dans leurs villages qu'ils demeuraient, vivaient au quotidien, travaillaient, allaient à la messe et à l'école, votaient. Pierrick Chuto redonne une voix aux ruraux dont on parle parfois, mais qui s'expriment rarement. Il nous offre leur façon de penser, plus diversifiée qu'on pourrait le croire.

Existe-t-il le Breton des villes et le Breton des champs ? Non : chaque village représente un microcosme dans lequel se reproduisent les conflits qui tiennent l'affiche en ville et qui y suscitent les mêmes débats. Suivez Pierrick Chuto avec moi sur le chemin des réalités bretonnes.

                                        Christian De la Hubaudière.

Après sa saga sur les faïenciers de Quimper (aux Éditions Coop Breizh), Christian De la Hubaudière sort au printemps son roman historique "Au Sein de Paris" sur l'industrie du nourrisson parisien au XVIIIe siècle.


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