Introduction

 

Lorsque, après deux ans de recherches, j’ai publié en 2013 la première version de cet ouvrage unique en son genre, j’étais loin d’imaginer les réactions enthousiastes de nombreux descendants d’enfants trouvés, exposés à l’hospice de Creac’h-Euzen[1]. Grâce aux conférences, séances de dédicaces, courriels et contacts divers, j’ai ainsi fait la connaissance de plus de trois cent cinquante personnes, heureuses de connaître enfin l’origine d’un ou d’une aïeule, dont le nom leur paraissait étrange. Soit un voile pudique avait été jeté sur lui (ou elle) et l’on n’en parlait pas dans les familles, soit on échafaudait des thèses plus merveilleuses et farfelues les unes que les autres. Beaucoup de généalogistes qui se heurtaient à un mur infranchissable ont pu en comprendre la raison.

   Certains, peu nombreux, m’ont reproché d’avoir trouvé un enfant de personne en fouillant dans le passé de leur famille. Pour eux, que n’avais-je fait là ? Le scandale de l’abandon ne doit pas être ainsi étalé sur la place publique ! Pourtant, dans mes écrits, je pense avoir prouvé ma bienveillance envers ces petits êtres qui, déclarés de père et mère inconnus, ont été exposés dans le tour, cette boîte pivotante nichée dans le mur d’un établissement de charité chargé de leur trouver des parents nourriciers.

Le problème ne date pas d’hier. Souvenons-nous des légendaires Rémus et Romulus, jumeaux d’ascendance divine, abandonnés avant d’être élevés par une louve. En 374 de notre ère, la loi romaine dit que celui qui expose son enfant le paye de sa vie. En France, sous l’Ancien Régime, l’Église, qui adopte une maternelle sollicitude envers les petits êtres délaissés par des parents dénaturés[A], n’hésite pas à recourir aux peines spirituelles les plus graves comme l’excommunication envers ceux qui commettent ou favorisent de tels crimes. Heureusement, Vincent de Paul et ses dames charitables pensent plutôt à secourir qu’à punir. Quand survient la Révolution, la charité jusque là religieuse devient laïque et l’État se préoccupe du droit à l’assistance pour les plus démunis. La mère qui abandonne son nouveau-né est enfin à l’abri de poursuites judiciaires. En 1811, un décret impérial impose, entre autres dispositions, la création d’un tour dans chaque hospice dépositaire. Que de progrès accomplis et d’infanticides évités, même si l’État voyait surtout dans ce dispositif un moyen de venir en aide aux infortunés mettant par la suite leurs bras, leurs talents et leurs vertus au service d’un pays qui leur a procuré le bonheur.

Le bonheur ? En s’emparant du sujet, la littérature a plutôt fait pleurer dans les chaumières, même si les feuilletonnistes et autres auteurs populaires ont souvent concocté des fins heureuses. Ainsi, Hector Malot qui, dans "Sans famille", guide son héros Rémi vers sa mère, une riche Anglaise. Zola n’est pas aussi charitable dans "Pot-Bouille" avec cette Louise qui a le teint jaune et le masque écrasé des filles qu’on oublie sous les portes. Le poète François Coppée n’est pas en reste et explique en quatre vers cruels leur apparence rebutante : Car ces êtres sont de la race / Du vice et de la pauvreté / Qui font les enfants sans grâce / Et les tristesses sans beauté.

   Pour cette nouvelle version du livre publié pour la première fois en 2013, je me suis replongé dans des archives hospitalières inexploitées. Grâce aux nouveaux relevés du C. G. F et aux renseignements que l’on peut trouver aujourd’hui sur Internet, le nombre de mariages de ces enfants trouvés a été considérablement augmenté. Au cours de très longues recherches dignes d’un fin limier, mon épouse a retrouvé la trace de beaucoup de ces hommes et femmes partis chercher du travail, loin d’un Finistère qui ne pouvait plus leur en fournir. Que ce soit en région parisienne, au Havre, à Saint-Chéron, à Trélazé, Bordeaux ou ailleurs, ils ont fait souche et ne sont pas revenus au pays.

   Je me suis aussi intéressé en détail au destin parfois tragique, parfois surprenant ou original, d’une dizaine de ces enfants, qu’il s’agisse entre autres du mendiant Lichou-Beurre, de la fille soumise Élisabeth Renoc, du petit escroc Hervé Hallour ou de l’infanticide Annette Datif.

   Dans les chapitres consacrés aux enfants exposés de 1805 à 1840 et de 1841 à 1861, ainsi qu’aux remises gratuites, reconnaissances et légitimations, sont relatées des centaines d’histoires qui vous mettront au plus près de cette si dure société du XIXe siècle qui nous fait relativiser les jérémiades entendues aujourd’hui sur notre époque.

   Il n’y aura pas de troisième version de ce livre, mais tout renseignement que vous pourrez me fournir sur ces enfants trouvés sera le bienvenu.

 

 

Pour une lecture plus aisée, les notes sont de deux sortes :

Celles qui portent un numéro complètent ou expliquent et se trouvent en bas de page.

Celles qui portent une lettre indiquent les sources (archives, livres, articles) et sont regroupées à la fin de chaque chapitre.

 

 

 


[1] En français : la colline d’Euzen.

 


[A] Bulletin diocésain d’histoire et d’archéologie du diocèse de Quimper. Année 1923. Article de l’abbé Monfort.


Association de Saint Alouarn Copyright © 2013. Tous droits réservés.

connexion