Introduction

 

Un tribun en campagne

  

Après l’intermède des Exposés de Creac’h-Euzen - Les enfants trouvés de l’hospice de Quimper -, je me dois de tenir ma promesse de reprendre le récit de la vie quotidienne des Bas-Bretons, confrontés aux soubresauts de la grande Histoire.

   Mon premier livre Le maître de Guengat se refermait en 1882 sur les funérailles du redouté Pierre-Auguste Chuto, dit Auguste, en présence de son petit-fils Auguste-Marie qui, à l’époque, se destinait à la prêtrise.

   Pour mon bonheur d’auteur, celui-ci était doté d’un caractère encore plus trempé que son aïeul de Guengat. Je ne l’ai pas connu et mon père ne m’en a malheureusement jamais parlé. Pourtant, j’ai souhaité retracer le parcours singulier de celui qui fut un acteur engagé dans cette lutte acharnée à laquelle se livrèrent les cléricaux et les laïcs sous la IIIe république. Propriétaire-cultivateur à Kerviel en Penhars[1], il aurait pu se contenter de vivre des revenus de son exploitation, mais cette existence ne satisfaisait pas l’ancien petit séminariste, qui avait la foi chevillée à l’âme.

Au cours de recherches passionnantes, j’ai découvert un tribun, parcourant les campagnes pour fustiger dans la langue de ses ancêtres les politiques des Waldeck-Rousseau, Combes, Clémenceau et consorts, qui, se lamentait-il, n’auraient de cesse qu’ils n’aient supprimé jusqu’au nom de Dieu.

  

   Soutenu par Josèphe[2], son épouse discrète et handicapée, Auguste, indifférent à la fatigue, critiquait dans ses discours lécole du diable, l’action néfaste des francs-maçons au pouvoir, le traître Dreyfus, les expulsions des congrégations, la laïcisation des écoles catholiques, et, suprême provocation, la volonté gouvernementale d’éradiquer par tous les moyens la langue bretonne.

   Si les journaux catholiques et républicains relataient ses "exploits" en termes élogieux, critiques ou même féroces, si Georges Le Bail, député radical-socialiste, lui consacra quelques pages assassines[3], il faut bien avouer qu’Auguste Chuto est oublié depuis longtemps.

   Il m’a paru opportun de réparer cette injustice, en le choisissant comme grand témoin des bouleversements vécus par nos ancêtres dans un département encore viscéralement attaché à l’Église et à ses ministres. Tous les faits rapportés dans cet ouvrage sont exacts, même ceux qui peuvent sembler invraisemblables. Fidèle au style qui est le mien, je me suis contenté de mettre en scène des personnages bien réels, sans jamais les juger.

   Un dernier point : le sujet est si vaste qu’il eût été inhumain de vous imposer la lecture d’un trop grand nombre de pages. Cette première époque s’arrête donc à la fin de l’année 1905, lors du vote de la séparation des Églises et de l’État.

   Ce sera ensuite pour Auguste et pour tous ceux qui partagent ses idées jugées réactionnaires, une lutte religieuse et politique de tous les instants. Début 2017, j’y consacrerai la deuxième partie de cet ouvrage, à moins que des diablotins, si présents sur les taolennoù (ou tableaux de mission), ne parviennent à m’en dissuader !

 


[1] Depuis 1960, cette commune est rattachée au Grand Quimper.

[2] Josèphe Thomas, arrière-petite-fille de Louis-Marie Thomas, fermier à Plonéis et personnage central de La terre aux sabots.

[3] Georges Le Bail. Une élection législative en 1906.


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