Auguste, un blanc contre les diables rouges
Introduction
Mon précédent ouvrage IIIe République et Taolennoù se termine par une phrase qu’aimait prononcer mon grand-père, Auguste Chuto : Mes n'euz fors petra a c'hoarvezo, nerz kaloun evit Doue hag ar Vro. (Mais quoi qu’il arrive, force de cœur pour Dieu et le Pays). Je me propose dans ce nouveau livre de poursuivre l’histoire de ce témoin et acteur de la lutte acharnée à laquelle se sont livrés cléricaux et laïcs, blancs et rouges suivant l’expression de l’époque.
Comme dans mes autres écrits, il est hors de question que j’érige une statue à l’un de mes ancêtres. Pleine de faits louables ou non, la vie de cet homme ordinaire m’est cependant fort utile pour raconter une histoire méconnue de la Cornouaille. Elle débute, cette fois en 1906, par les inventaires mouvementés des églises, pour se terminer en décembre 1924 avec la grande manifestation catholique de Quimper, en passant par la vie quotidienne pendant la paix sacrée de 14-18, sur le front des troupes et à l’arrière.
Si vous n’avez pas lu le livre précédent, en voici un résumé succinct : en 1880, la IIIe République, laïque et anticléricale, décide d’expulser les congrégations religieuses, entre autres celle des pères jésuites qui serait en état de conspiration permanente. Ce premier acte, annonciateur de sombres nuages qui se pressent au-dessus de la tête des cléricaux, est suivi de beaucoup d’autres qui ont pour but de mettre à mal l’hégémonie de l’Église catholique, considérée comme étant un État dans l’État.
Les journaux de l’époque relatent avec passion, exagération et beaucoup de mauvaise foi, selon qu’ils sont blancs ou rouges, les irrégularités scandaleuses des campagnes électorales où le clergé, l’alcool, l’argent et les pratiques douteuses jouent un rôle de premier plan. On s’étripe pour ou contre Hugo, Dreyfus, Zola et le général Boulanger. Les blancs dénoncent la terreur républicaine exercée par les loges maçonniques et les financiers judaïsants, tandis que les rouges s’en prennent à une autre terreur, celle que font régner les bons papelards du cléricalisme sur des fidèles à leur dévotion. Non contents de présenter à leurs ouailles des taolennoù (tableaux de mission) effrayants, censés représenter le mal et les péchés capitaux, les recteurs orientent les votes en faveur des candidats dits réactionnaires. C’est ainsi que du haut de la chaire, M. Favé, vicaire à Ergué-Gabéric, déclare à l’assistance : Votez selon votre conscience en songeant que le billet que vous mettrez dans l’urne, dimanche, sera dépouillé deux fois. Une fois par le maire, au soir du scrutin, une autre fois par Dieu, au soir de votre vie.
Dans cette paroisse, comme dans beaucoup d’autres, Auguste Chuto, conférencier laïque, revêtu d’un long manteau noir qui le fait ressembler à un ecclésiastique, vitupère contre les ennemis de Dieu et l’école du diable, devant des foules enthousiastes. Il crible de flèches acérées la loi de 1901 sur les associations et le petit père Combes, président du Conseil. Ancien séminariste tonsuré, devenu anticlérical et ennemi de la moinerie, Émile Combes ordonne, entre autres, l’expulsion des sœurs, la fermeture des écoles congréganistes, l’interdiction du breton à l’Église et au catéchisme.
C’en est trop pour Auguste, à propos de qui Georges Le Bail, député-maire radical-socialiste de Plozévet, écrit ironiquement : Nul ne s’est agité plus que M. Chuto au cours de l’application de la loi sur les congrégations. Son combat ne s’arrête pas là, car la loi sur la séparation des Églises et de l’État, en gestation depuis plus de trente ans, est promulguée en décembre 1905. La République garantit le libre exercice des cultes, mais n’en reconnaît, n’en salarie et n’en subventionne plus aucun. Qualifiées de mesures odieuses et révoltantes par les cléricaux, elles causent de grands chagrins au pape et laissent augurer des temps fort agités.
C’est cette période que je vous propose de découvrir maintenant, en compagnie de celui que ses adversaires appelaient Aogust, an tagnous (Auguste, le teigneux).
découvrez à présent la préface par Thierry Sabot