Préface de Serge Duigou

 

  

   Il y a un siècle, on n'y allait pas de main morte dans cette belle commune bigoudène de Plobannalec-Lesconil, aujourd'hui réputée pour l'agrément de sa campagne, le charme de son port de pêche et le pittoresque de son littoral. À nos yeux de contemporains, il y a de quoi être perplexe devant l'âpreté de la lutte idéologique et politique que se sont livrée, des décennies durant, les paysans de "Ploba" et les marins pêcheurs de "Lescon". Blancs contre rouges, cléricaux contre laïques, "calotins" contre "bouffeurs de curé". Sans guère de nuances. Avec tout de même, spécificité locale, un pasteur gallois et ses ouailles fraîchement converties qui viennent mettre leur grain de sel et brouiller les cartes.

   Quelle énergie déployée sans relâche à s'entre-déchirer, se vouer aux gémonies ! Côté laïque, que d'imagination, en période électorale, pour entraver la bonne marche des scrutins ! Côté catholique, que de mépris à l'égard de populations maritimes qui considéraient -avaient-ils tort ? - que l’Église prenait trop systématiquement le parti des possédants ? L'incompréhension entre les deux camps est totale, le combat frontal, les idées de l'autre étant perçues comme le mal absolu, la manifestation d'une perversion.

   Ces batailles politico-idéologiques sans concessions entre Bas-Bretons sous la IIIe République ont déjà fait l'objet de récits circonstanciés, à commencer par ceux des précédents ouvrages de Pierrick Chuto. Mais l'originalité de Du reuz en Bigoudénie est double. D'une part, il plonge le lecteur dans la guerre civile froide (chaude à l'occasion) qui a mis aux prises, de manière exacerbée, les habitants d'une même commune, Plobannalec-Lesconil, où les passions semblent s'être déchaînées davantage qu'ailleurs. Surtout, grâce au journal inédit du recteur Jézégou, une mine pour un chercheur, il pénètre l'intime personnalité d'un prêtre de combat, croisé résolu de la cause catholique, chahutée par des politiques anticléricales à répétition. Dans une prose qui n'était pas destinée à être publiée, l'abbé se livre sans filtre, ciselant des formules assassines, que son statut d'homme de Dieu, soucieux du salut de tous, lui interdisait de proférer de vive voix.

   Les propos à l’emporte-pièce de Christophe Jézégou, pris en flagrant délit de défaillance de charité chrétienne envers son prochain, ont de quoi étonner le lecteur d'aujourd'hui. Mais ils s'expliquent aisément. Car monsieur le curé était dans sa paroisse confronté à deux périls, l'un déjà ancien, le second inédit : l'anticléricalisme et le protestantisme, complices objectifs dans une même dénonciation du dogme et de la pratique catholiques. Au vu d'un tel contexte, on ne saurait mettre en doute la sincérité des convictions du recteur. Comme dans le camp d'en face, on ne peut suspecter celle des héritiers de Gambetta qui proclamait : "Le cléricalisme, voilà l'ennemi !"

   Comme à son habitude, Pierrick Chuto ne juge pas, ne prend pas parti ; il relate, raconte au plus près, au plus vrai, le quotidien de la vie et des combats de ses "héros". À travers son passionnant récit, il se veut le mémorialiste, fidèle et honnête, d'une époque de mutations radicales dans tous les domaines. Du fait de sa bipolarité port-campagne et de la présence sur la commune de personnalités de combat dans les deux camps, Plobannalec-Lesconil a vécu ces mutations dans un climat enfiévré. Mais qu'on ne s'y trompe pas : à des degrés divers, les Cornouaillais dans leur ensemble ont vécu intensément ces décennies de la IIIe République où l'on se battait pour des idées, où l'on faisait assaut d'arguments définitifs pour proclamer ses idéaux, où la société de convictions, vertus et excès confondus, n'avait pas cédé le pas à la société de consommation.

                                                                      

Serge Duigou

                                                                                                                                                                     

Serge Duigou, écrivain et conférencier, a publié (Ressac) : La révolte des pêcheurs bigoudens sous Louis XIV. Chez les Bigoudens : des étrangers en Pays bigouden. Le train Birinik : la ligne Pont-L’Abbé-Saint-Guénolé. Les mystères de Penmarc’h. La Tréminou, fête des Bigoudens.

 

 

 

 

 

 Postface de Bruno Jullien

 

   On aime souvent dire que pour savoir où l'on va, il faut savoir d'où l'on vient…, et où l'on est.

   La plongée dans l'histoire de Plobannalec-Lesconil au début du XXe siècle, présentée par Pierrick Chuto, apporte un éclairage saisissant sur les rapports humains qui ont forgé l'identité de notre commune et sur le rôle joué par les hommes d'église comme le recteur Jézégou, les maires ainsi que, chose curieuse aujourd'hui, mais pas unique dans l'histoire de la commune, les secrétaires de mairie.

   S'appuyant, entre autres, sur les archives diocésaines de Quimper, l'auteur nous emmène à la suite de Christophe Jézégou, un recteur prolixe en écriture, l'un des acteurs incontournables de cette histoire et l’une des figures marquantes de la commune.

   À cette époque, la commune est scindée en deux. D'un côté, Plobannalec, rurale et agricole, catholique et pratiquante ; de l'autre, le port de Lesconil et ses marins-pêcheurs peu croyants et peu perméables aux idées de l'Église. Tout semble opposer ces deux communautés.

   Mais tous vivent une vie difficile, particulièrement dans les familles de marins, plongées souvent dans la misère. On oublie combien la vie en Bigoudénie était dure à l'époque. La lutte des sardinières pour obtenir des patrons des conserveries un revenu décent nous le montre bien.

   Dans ce contexte de religion et de laïcité exacerbées, on imagine l'impact extrêmement puissant de la loi de séparation des Églises et de l'État qui provoque un séisme dans la commune, comme dans toute la Bigoudénie, et met à vif les sentiments dans ce territoire où la religion catholique régnait en maître.

   On prend également conscience de la terrible ponction provoquée par la Grande Guerre, mais aussi des profondes transformations sociales qu'elle engendre. Alors oui, la commune vit ces changements avec intensité ! Elle est déjà l'enfant terrible de la Bigoudénie ! Tout cela explique d'où viennent le caractère bien trempé des habitants de la commune et leur extrême attachement à leur histoire. Cette histoire est notre patrimoine.

   Le combat entre l'école publique, (l'école du diable, disaient certains), et l'école privée a été un autre marqueur des confrontations d'idées et quelquefois même physiques entre les blancs et les rouges. Si elle a duré longtemps, convenons qu'aujourd'hui cette rivalité entre l'école privée de Plobannalec et l'école publique de Lesconil est apaisée.

   De nos jours, malgré les brassages de population et l'arrivée de nouveaux habitants venus de l'extérieur, notre commune bicéphale possède toujours ces identités affirmées. Heureusement, des actes fondateurs, comme la création du stade à Pont Plat à la fin de la guerre de 40, ont jeté les passerelles nécessaires à la vie de ces deux communautés.

   On comprend aujourd'hui toute la portée et la valeur du bien-vivre ensemble, mais aussi la nécessité de connaître notre histoire pour pouvoir aller de l'avant. Le récit de Pierrick Chuto nous aide précieusement dans cette recherche.

Bruno Jullien

Maire de Plobannalec-Lesconil


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