Introduction

 

Après de longues heures consacrées à étudier une histoire vraie, à m’immiscer dans la peau de ses protagonistes, puis à la raconter à ma façon, j’aime faire lire mes écrits par quelques personnes, afin de connaître leur impression. Voici quelques mois, une amie d’origine bigoudenne m’a écrit : Je me demande où tu vas chercher ces gens bizarres, arriérés, sans culture, brutes et ivrognes. J'ai une autre vision du Pays bigouden, de sa région et de ses habitants.

   Quelque peu déstabilisé, j’avoue avoir hésité avant de me remettre au travail. Je n’ai évidemment rien contre cette belle région si attachante où, bien qu’étant glazik, j’ai fait toute ma carrière. Ses habitants, parmi lesquels j’ai plusieurs amis, ne sont ni meilleurs ni pires qu’ailleurs, et ce n’est sans doute pas ici que Caïn a tué Abel. Face à ce premier meurtre de l’histoire de l’humanité, les histoires racontées dans ce livre, bien que sanglantes pour certaines, me semblent être à l’eau de rose.

   Les plus anciens d’entre nous se souviennent sans doute de la célèbre bande dessinée, Le Crime ne paie pas, qui paraissait en feuilleton dans "France-Soir". Les manchettes des journaux étaient peuplées d’horribles faits divers et, dans un passé encore plus lointain, les relations détaillées des procès de cour d’assises occupaient plusieurs colonnes en deuxième ou troisième page. Depuis, même si les quotidiens y consacrent moins de place, de nombreux livres traitent du sujet, comme l’excellent ouvrage d’Annick Le Douget, consacré aux crimes d’autrefois dans le Pays de Fouesnant.

 

   Alors, fallait-il, pour ne plus choquer certains, abandonner un thème qui me passionne ? Bien que n’étant pas de nature belliqueuse, j’adore me plonger dans les dossiers souvent sans filtre de la série U (Justice) aux archives départementales. À mon grand regret, je dois parfois me contenter de l’arrêt d’un jugement, le dossier d’instruction ayant disparu. Si je retrouve ce dernier, c’est toute la vie d’une famille, d’un village, d’une commune, qui y est racontée, à travers les multiples interrogatoires du ou des suspects, les témoignages et autres pièces d’une procédure qui peut dérouter par sa lourdeur administrative. Même si, pénétrant presque par effraction dans l’intimité de ces foyers, je me sens un peu voyeur, je côtoie l’histoire de nos aïeux avec un grand H.

   Entre 1830 et 1916, dates butoirs retenues pour cet ouvrage, les affaires de mœurs et d’infanticides encombrent les rôles d’audience de la cour d’assises du Finistère. Que l’on se rassure, elle n’étaient pas plus nombreuses en Pays bigouden qu’ailleurs, la misère et l’ivrognerie faisant partout des ravages. J’ai préféré ne pas traiter de telles affaires, n’ayant que l’embarras du choix pour d’autres forfaits causés par la colère, l’avarice, l’envie (ou jalousie), la luxure, la paresse et l’orgueil. Cette liste de péchés capitaux est incomplète, car je n’ai pas trouvé de crime ou de méfait dont la gourmandise serait responsable !

   Ne soyez pas étonnés de rencontrer dans ces pages des petits voleurs parmi les assassins. Ils étaient passibles, eux aussi, de la cour d’assises, si le vol remplissait une ou plusieurs de ces conditions : avoir été accompli de nuit, sur un chemin, en réunion (à plusieurs), ou/et à l’aide d’escalade dans un édifice. Les douze jurés, des hommes souvent nantis, leur accordant rarement les circonstances atténuantes, pouvaient les condamner aux travaux forcés.

   Avant de vous laisser découvrir la première affaire, j’adresse des excuses anticipées aux descendants des personnes condamnées. Le plus souvent, ils ignorent cet épisode de leur histoire familiale, un voile opaque ayant été jeté sur le passé de ces ancêtres, jugés peu recommandables. Chacun a la possibilité de lire et d’étudier les dossiers d’assises, les journaux, les registres matricules et autres recensements, toutes ces pièces publiques qui m’ont servi à peindre une société assez dure, qui, en fait, n'est peut-être pas si éloignée de celle dans laquelle nous vivons.


Association de Saint Alouarn Copyright © 2013. Tous droits réservés.

connexion